La Maison des Soleils — Alastair Reynolds

Résumé :
« Ils sont la Lignée Gentiane, la Maison des Fleurs. Ils sont mille. Mille clones âgés de six millions d’années, tous issus d’Abigail Gentian et d’une époque où l’humanité n’était encore qu’à l’orée de l’ère stellaire. Depuis tout ce temps, ces fragments éparpillés parcourent la galaxie, spectateurs de l’aventure humaine à travers l’espace, là où empires et conquêtes fabuleuses se fracassent sur la noria du temps. Tous les deux cent mille ans, après un tour complet de la galaxie, les membres de la Lignée se réunissent pour échanger souvenirs et expériences. C’est la Millième Nuit, une fête sans pareille. Or, pour cette trente-deuxième réunion, Campion et Purslane sont en retard. Un détail ? Pas vraiment. Car dudit retard pourrait bien dépendre le devenir de l’ensemble de la Voie lactée, et peut-être même bien au-delà… »

Fiche technique :
Auteur : Alastair Reynolds
Éditeur : Le Bélial’
Pagination : 512 pages

Un livre qui était sur ma liste de lecture depuis 2018 et la chronique qu’en avait fait Apophis en VO. Même si je lis bien l’anglais, ma PAL VF étant déjà conséquente (et ne cessant de croitre) je repoussais mon achat et ma lecture depuis des années. Alors que j’allais craquer cet hiver, Bélial a annoncé une VF. Voilà que mon achat VO tombait à l’eau et que je n’avais plus qu’à attendre quelques semaines de plus. Toutefois, entre mes lectures en cours et le fait que j’étais pas mal occupé, ma lecture m’a pris plus de temps que prévu, même si ça m’a permis de savourer l’ouvrage de l’auteur gallois. Je n’avais d’ailleurs jamais lu aucun texte d’Alastair Reynolds (même si plusieurs scénarios de « Love, Death and Robots » sont basés sur certains de ses textes) et d’un seul coup, me voilà à lire deux de ces textes. En effet, en parallèle de « La Maison des Soleils » j’ai lu « Les nuits de Belladone » (Bifrost N° 114) qui se déroule dans le même univers.

L’univers de la Lignée Gentian est classable dans le genre de la Hard SF et ce texte précis rentre à la fois dans le genre du Space Opera (entre autres). Pas de propulsion supraluminique « magique ». Certains vaisseaux sont capables d’accélérer en une fraction non négligeable la vitesse de lumière, pas de l’atteindre ou la dépasser. Si les voyages prennent des siècles, certaines branches de l’humanité, notamment les Lignées/Maisons, jouissent d’une longévité exceptionnelle. Enfin l’ensemble de l’univers est plausible et repose sur pas mal de théories et hypothèses scientifiques plausibles ou propose des réponses science fictives assez dingues à certains « mystères de l’univers ». Rien d’étonnant à cela puisque Alastair Reynolds travaillait en tant qu’astrophysicien à l’ESA avant de se consacrer à la SF.

L’histoire se passe plus de 6 millions d’années dans le futur. L’humanité a conquis une bonne partie de la Voie lactée et a évolué vers la post-humanité, engendrant des milliers d’espèces « humaines ». L’humanité a aussi engendré des IA qui ont pris leur indépendance et sont devenues une « espèce à part », le Peuple Machine. Le temps a révélé que notre galaxie était vide de toute forme de vie extraterrestre, même s’il subsiste des traces d’une antique civilisation disparue, les Précurseurs, dont les prodiges technologiques font passer l’espèce humaine pour une fourmi face à un Dieu. Enfin, dernier « petit détail » intriguant, la galaxie d’Andromède a disparu, ne laissant place à… rien. Juste un bout d’espace vide et noir.

Campion et Purslane, sont des « frags » de la lignée Gentiane, c’est-à-dire des clones de sa fondatrice Abigail Gentian. On découvre qu’ils bravent un « interdit » puisqu’ils sont en couple. La première partie du livre nous fait suivre leurs péripéties alors qu’ils sont sur le retour de leur « circuit galactique » pour participer à la Millième nuit. On découvre les bases de l’univers, le concept des Lignées/Maisons, l’étendue de leur influence sur la post-humanité… Cette première partie n’est déjà pas avare de « Sens of Wonder. » On y découvre donc l’existence du Peuple Machine, lorsque les péripéties de nos frags les pousses à embarquer avec eux les mystérieux Hesperos. Sur leur trajet, Campion et Purslane passent par la Vigilance, un essaim de Dyson, habité par des « Archivistes » qui collectent et traitent toutes les informations possibles dans le but de comprendre. Comprendre quoi ? Tout, probablement. La deuxième partie s’ouvre lorsque, captant un message d’urgence, Campion et Purslane apprennent que le monde de la réunion a été détruit par une arme « homoncule ». Malgré les avertissements, les frags poursuivent leur route dans le but de retrouver des survivants. S’ils en réchappent de justesse non seulement avec des survivants, mais aussi des prisonniers, il s’avère qu’Hesperos va y laisser des plumes. Cette deuxième partie voit donc les survivants de la lignée tenter de comprendre par qui et pourquoi ils ont frôlé l’extermination totale, mais voit aussi Campion et Purslane tenter d’aider Hesperos. Tout cela les met sur la piste improbable de la Maison des Soleils. Mais si une autre Maison existait, toutes les autres seraient forcément au courant… La troisième partie, prenant forme d’une course poursuite galactique puis d’un contre la montre tout aussi galactique va à la fois épaissir le mystère et y apporter toutes les réponses. Si l’ensemble du livre balance de bonnes peltées de « Sens of Wonder », les derniers chapitres, en plus d’apporter les réponses, balance une dernière dose de « Sens of Wonder » absolument colossal jouant notamment, à une échelle touchant au divin, avec les questions des « grands vides » séparant certains superamas de galaxies, mais aussi la nature trouble des Précurseurs.

Toujours sur le « Sens of Wonder », outre celui induit par les derniers chapitres, ce qui touche aux Précurseurs est presque terrifiant. Les bribes de technologie qu’ils ont laissées derrière eux sont si avancées que les Lignées, si elles sont capables d’en utiliser une partie, sont incapables de les reproduire voire de les comprendre, même après des millions d’années. Alors le simple fait que ces Précurseurs, si puissants, aient disparus on ne sait trop comment est franchement vertigineux. Les Gentians par exemple utilisent les restes de cette technologie pour assembler des Digues stellaires destinées à contenir des supernovæ. D’autres Lignées sont spécialisées dans la Terraformation, le déplacement de corps célestes, du transfert de masse entre étoile saine et mourante via un trou de verre… Bref, les Lignées sont avancées, puissantes comme rarement dans une œuvre de hard SF qui bâtit un univers plausible. Et pourtant ces Lignées ne sont potentiellement que des fourmis à l’échelle de l’univers. Il y a aussi quelques choses de cyniques, car en dehors des îlots de stabilité et de longévité que sont les Lignées, une bonne partie de la post-humanité subit quant à elle l’entropie d’un univers sans pitié. Ainsi, autour des Lignées toutes puissantes (ou presque) des planètes et systèmes voient naitre, grandir et s’effondrer de manières cycliques les civilisations post-humaines. Aussi, Alastair Reynolds a le parti-pris intéressant de faires de ses Lignées non des ennemis, mais des éléments complémentaires d’un tout au sein de la Communauté. S’il y a bien des rivalités, le fait que les Lignées aient des domaines d’expertise qui ne se chevauchent pas limite les concurrences qui pourraient dégénérer. Et puis, la galaxie est grande. Ce ne sont pas les mondes à explorer et les mystères de l’univers à résoudre qui manquent. Pourtant, habitué au trope des civilisations rivales qui se livre des guerres plus ou moins ouvertes, le lecteur ne pourra pas s’empêcher de soupçonner que la quasi-annihilation des Gentians est le fait d’une autre lignée. Je trouve qu’Alastair Reynolds joue parfaitement avec ce trope pour mieux nous manipuler, nous y faire croire (parce que « trope ») puis « en fait non, puis en fait que c’est plus compliqué que ça… » En plus de la post-humanité, l’auteur nous livre aussi un univers post-pénurie, du moins pour les Lignées, puisqu’à leur échelle les échanges ne se font plus tant en argent et en ressources, mais plutôt en informations et services, mais à des échelles qui dépassent l’entendement dans les deux cas. Puisqu’ici les services vont de la terraformation aux digues stellaires et que les informations concernent les différents coins de la galaxie et portent sur des milliers d’années. Les Lignées de la Communauté disposent d’ailleurs d’une longévité qui dépasse l’entendement. Si les frags des Lignées ne sont pas immortelles, ils peuvent vivre des milliers d’années et soigner des blessures et maladies qui dans d’autres circonstances pourraient être fatales à des civilisations entières. Malgré tout, la mort affecte les Lignées. L’attrition générée par les accidents et les drames fait qu’à chaque cycle un ou des frags manquent à l’appel.

Un autre élément qui entre en jeu est donc l’échelle temporelle. Outre le fait que l’histoire des Lignées s’étale sur des millions d’années, l’intrigue même du roman joue avec les échelles relativistes. Sans voyages et transmissions supraluminiques, les voyages durent des années, voire des siècles. Outre leur longévité, les Lignées utilisent des dispositifs de « stase » qui plonge l’utilisateur dans une sorte de dilatation temporelle locale permettant de ralentir le temps des millions de fois. Ainsi, le voyageur à l’impression d’un voyage qui ne dure que quelques jours, alors que le vaisseau lui a voyagé sur des distances incommensurables à des vitesses qui le sont tout autant, sans jamais être supraluminiques.

S’il me reste énormément à découvrirez en termes de lecture et d’auteur de hard SF, certains éléments du worldbuilding rappellent en partie l’univers de la Culture de Iain M. Banks (que je suis en train de découvrir) et, je pense que « La maison des Soleils » est aussi à compter parmi les nombreuses influences que synthétise « La nuit du Faune » de Romain Lucazeau (l’auteur lui-même avait dit en interview avoir voulu jouer avec les plus gros tropes de la SF).

En plus de l’univers et l’intrigue, il faut parler de l’aspect littéraire. Le livre à une structure relativement simple, mais efficace. Chacune des huit parties du livre s’ouvre sur un chapitre de la jeunesse d’Abigail Gentian, à l’époque de « l’Heure d’Or » avant que l’Humanité ne conquière la Galaxie. Le dernier des chapitres de son point de vue correspond au moment où elle lance SA lignée, en créant les frags Gentians. Après l’introduction de chaque partie par un « chapitre Abigail », le livre alterne systématiquement le point de vue de Campion et Purslane. Cette organisation permet au livre d’avoir un rythme relativement soutenu et parfois même haletant. La plume d’Alastair Reynolds n’est pas avare en mots et en belle tournure de phrase, mais sans jamais devenir prolixe. Le style est extrêmement agréable tant dans les dialogues que les descriptions. Si en VO l’auteur a dû probablement faire preuve d’une certaine virtuosité, la traduction de Pierre-Paul Durastanti est (comme souvent) un véritable travail d’orfèvre. Aussi, si l’intrigue est foisonnante et constituée de sous-intrigues nombreuses et variées, l’auteur ne s’y perd jamais. Tout est lié. Tout a un sens. Tout est résolu à la fin. Les personnages, y compris les plus secondaires, portent de l’intérêt. Parfois juste parce que leur post-humanité est porteuse d’exotisme. Le Peuple Machine apporte une altérité intéressante. On croise d’autres entités sur lesquelles je ne dirais rien à part le fait que certaines sont fabuleusement intéressantes et porteuses de « Sens of Wonder ». Enfin, les frags, s’ils sont des clones d’Abigail ne sont ni identique entre eux ni identique à leur créatrice. Si la réunion de la Millième Nuit est l’occasion de partager et synchroniser souvenir, expérience et connaissance, chaque frags est une divergence d’Abigail. Si Campion et Purslane sont les plus mis en avant on en croise pas mal d’autres qui sont intéressants. Côté Peuple Machine, Hesperos gagne en intérêt et en poids tout au long de l’intrigue. Enfin certains personnages qu’on pensait secondaires, voire moins que ça, prennent une importance surprenante, mais intéressante et logique dans le dernier tiers du livre.

Est-ce que ce livre est parfait ? Pas tout à fait, mais pas loin. Je lui trouve deux légers défauts. D’abord une fin légèrement abrupte même si elle porte un « Sens of Wonder » absolument dingue et laisse la porte ouverte sur une suite qui pourrait être absolument folle. Ensuite, la question des « Homoncules » dont on ne sait pas grand-chose si n’est que les Lignées les ont visiblement écrasés et que leurs technologies guerrières dévastatrices ont été démantelées et interdites.

En termes d’exploration de l’univers, outre « Les nuits de Belladone » (Bifrost N° 114), il est possible de lire « La millième nuit » et « De l’espace et du temps » dans la collection UHL du Bélial. Pour ce qui est des suites et/ou préquel à « La Maison des Soleils » il me parait probable qu’il y ait une suite en lien avec les révélations des derniers chapitres. Enfin, vu le mystère qui subsiste autour des « Homoncules », je ne serais pas étonné que l’auteur nous livre un roman ou une novella sur ce sujet.

Après tant d’années à vouloir lire ce livre en VO, Le Bélial’ (et son traducteur) nous livre une œuvre superbe avec la VF de « La Maison des Soleils ». Alastair Reynolds est l’auteur d’un univers et une intrigue d’une ambition folle, fait de démesure et d’un « Sens of Wonder » incroyables. L’intrigue est incroyablement maitrisée et bien ficelée. Le style et la traduction française sont somptueux. Si par manque de temps, j’ai lu ce livre moins vite que prévu, j’ai aussi pu en savourer le style et me délecter de son « Sens of Wonder » démentiel. « La Maison des Soleils » me parait être une lecture indispensable pour les amateurs de science-fiction.

Outre la chronique de la VO par Apophis évoquée en début d’article, vous pouvez lire les avis de Gromovar, FeydRautha, Célinedanaë, Anudar, Maki.

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