Civil War – Alex Garland

L’affiche officielle

Résumé :
« Dans un futur proche, une équipe de journalistes parcourt les États-Unis au cours d’une guerre civile qui ravage tout le pays. »

Fiche technique :
Réalisateurs : Alex Garland
Scénaristes : Alex Garland
Distribution : A24, Entertainment Film Distribution
Production : DNA Films, IPR.VC
Acteurs principaux : Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny, Stephen McKinley Henderson, Sonoya Mizuno, Nick Offerman

Un film que je n’avais pas vu venir, car produit et distribué par des boites qui ne sont pas des mastodontes du cinéma. Mais dès que j’ai vu la première affiche (qui ne représente même pas une scène du film) et le premier trailer, ainsi que le nom d’Alex Garland, je me suis mis à avoir des gros espoirs pour ce film. Si la « Deuxième Guerre civile américaine » est devenue un objet de fantasme pour certains, elle est surtout un objet de fiction qui peut être fascinant lorsqu’il est bien manié. Le comics DMZ en est une preuve, mais son adaptation en série fut malheureusement une catastrophe industrielle. Allais-je enfin voir en « images qui bougent » quelques choses qui me prendraient autant aux tripes que les « images qui bougent pas » de DMZ ?

Évidemment, lorsque l’on parle de « Deuxième guerre civile américaine », la question du worldbuilding se pose forcément. Sur ce point, Garland fait le choix d’un parti pris casse-gueule (à première vue) de ne pas définir directement la couleur politique du dictateur américain. Pour ajouter à la confusion, il lui oppose une alliance surprenante menée par la Californie et le Texas. Un état ouvertement progressiste et un état clairement conservateur. Une alliance contre-nature qui en dit long sur la détestation d’un président pour que ces deux états s’allient. Mais Garland est plus malin que ça et il faut être attentif aux détails pour se rendre compte que c’est sans aucun doute Trump qui est visé. Le président qui n’est jamais nommé autrement que par le titre de sa fonction est un autocrate qui s’est adjugé un troisième mandat comme Trump voulait s’en adjuger un second. Il a littéralement déclaré la guerre au journaliste au point qu’on dit qu’à Washington on tire à vue sur eux. Enfin, il a démantelé le FBI, l’un des nombreux services que Trump accuse de mener une chasse aux sorcières. Aussi, il vit dans une réalité parallèle comme Trump et ses plus fervents supporters. On l’entend à la radio proclamer les victoires imaginaires de ses forces (à la fin de la guerre, Hitler manipulait des divisions qui n’existaient plus) et des défaites tout aussi imaginaires de ses ennemis. La symbolique va jusque dans la mise à mort du président par une femme noire. Deux catégories de la population américaine que Trump et une partie de ses supporters exècrent. Pourtant, dans une Amérique divisée, le parti pris de Garland est intéressant et même très pertinent, car les trumpistes les plus fanatiques seraient capables de voir dans ce président, non le « Républicain » aux inspirations fascisantes, mais bel et bien les démocrates bienpensants et progressistes.

Avant de poursuivre, je vous partage (avec sa permission) une superbe affiche non-officielle, réalisée par Nuno Sarnadas. Vous pouvez le suivre sur Twitter ou retrouver son travail ici.

Affiche non-officielle, réalisée par Nuno Sarnadas

Pour le scénario, l’histoire est aussi faussement simpliste. On pourrait y voir un road trip visant à nous montrer une guerre civile américaine. Ne s’appuyant que sur les belles images d’un fantasme de plus en plus à la mode, car cette guerre civile américaine est un objet de fiction qui a pris de l’intérêt durant les deux dernières décennies, mais il est aussi devenu un fantasme pour une partie de la population américaine. En réalité, Garland utilise à nouveau le sens du détail, jusque dans les petites phrases qui sont en réalité liées les unes aux autres, parfois d’un bout à l’autre du film. Le réalisateur-scénariste nous raconte d’abord une guerre civile où il n’y a pas vraiment de gentils. La brutalité et les crimes de guerre sont commis en permanence par les deux camps. Plus que deux mêmes, car à plusieurs reprises nos journalistes croisent la route de soldats qui n’appartiennent à aucun camp, ne porte pas de drapeau ou de patch sur leur tenue. Il fait donc abstraction de la question « gentils contre méchants » et nous livre au contraire de nombreuses nuances de gris. « Quelqu’un essaie de nous tuer. Nous essayons de les tuer. »

Someone’s trying to kill us. We are trying to kill them.

L’aspect journalisme, et donc des personnages, bénéficie d’un traitement extrêmement intéressant parce qu’il porte sur plusieurs sujets. On a cette dualité entre l’équipe de journaliste de guerre chevronné et la junior qu’ils embarquent avec eux. Aux seins mêmes du groupe de vétérans, les distinctions de personnage sont intéressantes. Sammy, l’ancêtre, veut son dernier moment de journalisme. Joël, s’il veut la dernière interview du dictateur (on apprend que ce dernier n’a pas parlé à un journaliste ou n’importe quel contradicteur depuis 14 mois), est surtout un shooté à l’adrénaline. Lee, si elle veut photographier les derniers instants du dictateur ou plus précisément le dictateur qui se cache derrière sa propre propagande. Elle met aussi en exergue à la fois le métier de reporter de guerre et la politique étrangère américaine « Chaque fois que j’ai survécu à une zone de guerre, j’ai pensé que j’envoyais un avertissement au pays : “Ne faites pas ça”. Mais nous y voilà. » Ce qui nous amène à Jessie, photographe de guerre en devenir qui va passer quelques jours d’une intensité folle au côté de ces trois-là et tout apprendre du métier, sur le tas, à leur contact. Sammy, Lee et Joël accompagnent donc la création de la nouvelle grande reportrice de guerre que sera Jessie. À travers cette ambiance de guerre civile réaliste qui prend aux tripes nous rappellent aussi les risques encourus par les reporters de guerre qui tente, souvent au péril de leur vie, de nous livrer la réalité d’une guerre du bout du monde. Car, oui, même si cette guerre est américaine, les journalistes par leur neutralité y sont, en quelque sorte, étrangers. Ils essaient de capter et raconter les évènements sans les biaiser. L’humain étant ce qu’il est, cela est-il seulement possible ? Le dictateur, quant à lui, meurt comme tant d’autres avant lui, en petit homme, comme l’avait prédit Sammy ?

Every time I survived a war-zone, I thought I was sending a warning home, « Don’t do this. » but here we are.

Sur l’aspect guerrier et la violence, je ne savais pas à quoi m’attendre puisque c’est la première fois que Garland se frotte à ce genre. Pourtant, c’est une très bonne surprise. La guerre est essentiellement filmée à hauteur d’homme/femme, parfois directement du point de vue des journalistes. Avec quelques interruptions artistiques représentant les clichés saisis par Jessie et Lee. Les scènes d’actions, à la fois glaciales et volcaniques, ont donc un impact réaliste, voire viscéral, parce qu’on est souvent dans la mêlée avec les combattants. La violence n’est jamais surjouée et sur-mise en scène. Elle est soudaine, saisissante, jamais grandiloquente et vous fera souvent sursauter tant elle survient parfois sans prévenir. Un élément qui joue beaucoup sur la qualité du traitement est la qualité des bruitages. Les coups de feu sont aussi surprenants qu’assourdissants, car la production a utilisé des balles à blanc « pleines », plutôt qu’à demi ou à quart de charge, ce qui permet d’obtenir un son aussi assourdissant que dans la réalité. Qui a déjà regardé des vidéos de guerre avec une qualité de son potable aura l’impression d’y être. Mais Garland nous offre aussi des moments contemplatifs voir quasi poétique. La BO, rare, mais pas discrète, renforce le côté surréaliste des évènements tant elle est en décalage avec ce qu’on s’attendrait à entendre dans un film de guerre. Les rares moments où il met en image l’aspect militaire sous un angle plus large, il donne à l’armée l’image d’une machine inarrêtable et gigantesque. Le jeu sur les contrastes chauds froids tape dans le mille et est une réussite indéniable. Bref, sur l’aspect son et image, Garland livre un film réussi, et qui ne devient incroyable par le sens du détail tant l’image que l’écriture. Cela rend le film porteur de sens, d’avertissements, de constats amers.

En dix ans de carrière de réalisateur-scénariste, Alex Garland s’est frotté avec succès à plusieurs genres, livrant à chaque fois d’excellents films tant sur le plan de l’écriture que de la réalisation. Civil War ne fait pas exception et Alex Garland signe une nouvelle pépite. Potentiellement mon film préféré de sa filmographie. Potentiellement l’un de mes films de guerre préférés. Certainement ce que j’espérais voir sur ce sujet depuis ma lecture de DMZ. C’est beau, puissant et fin à la fois. Une réussite majeure.

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