Bifrost N° 113 : Intelligence artificielle

Un numéro qui porte sur le thème des IA et qui dès son édito remet les pendules à l’heure en faisant bien la distinction entre l’IA « intelligente » (telle que l’espère la science et telle la science-fiction la met en scène) l’IA que le grand public côtoie ces dernières années. Non, les assistants personnels de nos smartphones, les générateurs d’images et de textes ne sont pas des intelligences ce sont des algorithmes qui prédisent ou génèrent plus ou moins bien. Toutefois ces IAG font déjà des dégâts, en générant souvent des contenus médiocres ingurgités par un public qui n’est pas « formé » ou assez expérimenter pour en déceler les nombreuses erreurs et la médiocrité. L’intérêt de l’IA, la vraie, est qu’elle pourra nous rendre la vie plus facile et résoudre de nombreux problèmes. En tout cas telle est ma conviction.

Comme souvent avec Bifrost mon attention se porte surtout sur les nouvelles et le dossier. Je donc vous livrer mon avis sur les différents contenus de n° 113.

Le charme discret de la machine de Turing — Greg Egan

Egan est, comme très souvent, excellent. Dans cette nouvelle, se déroulant dans un futur bien assez proche à mon goût, nous suivons Dan qui vient de perdre son travail dans une société où il est de plus en plus dur d’en retrouver un. La descente aux enfers de sa famille qui se précarise un peu plus chaque semaine m’a vraiment touché, car j’ai connu ce genre de situation compliquée il y une décennie, même si tout s’est bien terminé. Un père de famille dont les enfants vont dans la même école que la fille de Dan gagne sa vie grâce à un mystérieux mécène. La maitresse de la petite Carlie est remplacée par « une tablette ». Janice, l’épouse de Dan, voit son bouleau à l’hôpital remplacé par une machine. Le beau-frère de Dan est persuadé que la singularité est déjà arrivée. Au milieu de tout ça, la famille de Dan doit trouver un moyen de s’en sortir. Arrivé à la moitié du texte, j’avais anticipé le pot aux roses, mais le voir se dérouler via la plume et les idées d’Egan reste vraiment satisfaisant.

Spoiler et réflexion personnelle pour ce paragraphe. Dans le texte d’Egan, les entreprises optimisent leurs activités et leur profit grâce à des IA qui rendent de plus en plus de travailleurs « obsolètes ». Toutefois, les entreprises se rendent alors compte que malgré des bénéfices record, le nombre de personnes pouvant se payer leurs services et produits va aller en diminuant. Leur modèle économique est un château de cartes qui va s’effondrer, sauf si un subterfuge est trouvé pour maintenir le petit peuple à flot. Ce que le texte sous-entend c’est que ce sont les mêmes IA qui ont été utilisées pour créer ce nouveau modèle économique prédateur, qui vont œuvrer à « veiller sur les humains » et donc maintenir un nouveau système en place. Parce que oui, si l’avènement de l’IA devait avoir lieu un jour, beaucoup de jobs plus ou moins pénibles et intéressants n’auraient plus lieu d’être. Donnez des robots comme incarnation physique aux IA et c’est encore plus de jobs qui disparaissent. L’économie deviendrait alors plus productive et de nombreux humains seraient sans emplois, il faudrait donc instaurer un revenu universel.

Renaissance — Jean-Marc Ligny

Jean-Marc Ligny est l’un des auteurs incontournables de la SF… et pourtant c’est la première fois que je le lis. En effet, plusieurs de ses textes ne portent pas sur des genres, sous-genres ou sujets qui m’intéressent. Les autres, dont le fameux Aqua™, sont dans ma PAL.

« Nous servons les humains, mais ils ne servent à rien. » Tel est le constat qui est fait dans la première partie de ce témoignage. Il s’agit de celui d’un descendant des riches ayant survécu à l’effondrement en se réfugiant dans des havres pour riche gérer par IA. Des humains réfugiés, la plupart du temps, dans une réalité virtuelle au point que leur vie n’a plus grand-chose d’intéressant et que les IA sont obligés d’en gérer tous les aspects, à tenter de redonner un sens à leurs vies. La deuxième partie du témoignage concerne directement le narrateur qui nous décrit sa jeunesse alors qu’il est élevé par une IA (la parentalité n’ayant visiblement plus d’intérêt). Alors que des défaillances apparaissent de plus en plus fréquemment, des problèmes de connexion obligent les IA à s’appuyer sur les humains pour qu’ils « pilotent » les drones et robots. Il faut alors responsabiliser et former ces humains devenus totalement incompétents. Mais il s’avère que les IA ont un plan.

Un texte annoncé comme assez classique. Il l’est, mais cela n’empêche pas le récit d’être agréable et d’aborder à nouveau différentes questions : l’utilité des IA, ce qu’elles peuvent nous apporter, la place des humains dans tout ça, la vacuité de notre modèle économique et civilisationnel.

RêveVille — Thierry Di Rollo

Encore un gros auteur de SF francophone que je n’ai jamais lu.

Histoire étrange se déroulant au 22ème siècle dans une société où les humains semblent s’être soumis à la volonté du CSIC (Comité de Surveillance de l’Immortalité Contrôlée) dans le but d’attendre l’Épectase (Progrès de l’homme vers Dieu). Le protagoniste, né « valeureux » et devenu « béat » a perdu son ombre, puis son reflet. Le texte nous montre une étrange société dystopique où l’humain peut vivre plusieurs centaines d’années, mais dans une vie entièrement régie par le CSIC avec un équivalent du Système de crédit social chinois et où la dénonciation est une norme convenue et acceptée.

Un texte très court. J’ai eu l’impression de lire un texte qui veut évoquer le risque de voir le modèle de démocratie occidentale s’aseptiser et se transformer en dictature bienpensante. Je ne suis pas sure de comprendre le but et l’intérêt du texte.

Rayée — Audrey Pleynet

J’ai découvert le travail d’Audrey Pleynet avec le très plaisant « Encore cinq ans », prix des lecteurs du Bélial 2022 (Bifrost n°107).

Dans ce monde qui semble partir à vau-l’eau les citoyens se retrouvent avec l’état de six capacités critiques affichées sur leur avant-bras et désigné par les lettres T (temporalité/repères temporels), C (compétences), M, S, R (raison), I. Le monde semble balayé par une épidémie (une sorte d’Alzheimer contagieux) et de nombreux survivants perdent des capacités (qui sont alors rayées) les rendant au passage dangereux pour les autres et aggravants la crise. C’est dans ces conditions que nous suivons les péripéties d’Agathe qui a perdu la capacité en lien avec les repères temporels. Il n’existe pour elle plus que le passé ou le présent, sans granularité. Quel est le rôle des IA dans cette histoire ? Ce sont elles qui ont détecté l’épidémie, puis pris des mesures pour gérer la situation, le tout dans une société qui semble avoir accepté de confier l’exécution des questions de gestion à des IA au point de ne plus se poser les mauvaises questions et de se les poser trop tard.

Un texte étonnant qui arrive à évoquer la connerie humaine, beauté de l’art, les « IA génératives », la perte de ce qui fait notre identité et notre humanité. La plume de l’autrice est toujours aussi plaisante. Des quatre nouvelles, elle est, avec d’Egan, celle qui ma parut la plus pertinente et touchante.

Ballades sur l’arc

Il s’agit d’un tronçon dédié aux chroniques littéraires. Comme à chaque fois, j’ai fait l’impasse sur les recensions des textes des genres qui ne m’attirent pas ou peut (fantaisie et cie) sauf que de l’aveu même qui est fait dans l’introduction de cette partie du livre, il y a cette fois-ci assez peu de SF dans les recensions.

Tout de même l’occasion de me rappeler qu’il faut que j’ajoute « Protectorats » de Ray Nayler à ma PAL. Aussi de me rappeler que « Barbares » de Rich Larson est dans ma PAL et devrait probablement être lus d’ici cet été.

Il y a une interview de Saralisa Pegorier dont la couverture du Bifrost n° 112 dédié à Ann Rice avait fait du bruit. Découvrir la vie d’un(e) artiste, son parcours et ses aspirations est toujours chouette, mais j’ai été étonné que « l’affaire de la couverture du 112 » n’ait pas été évoquée.

Au travers du prisme

Voilà le dossier qui fait le titre de ce volume de Bifrost. L’article s’ouvre sur une citation : « Le spectacle de la machine qui produit du sens dispense l’homme de penser. » Je pense qu’on ne peut pas mieux résumer l’attitude des « Aibro » et « AiArtist ». Ils génèrent et pensent créer. Les résultats sont catastrophiques aux yeux de n’importe qui d’un peu éduqué à ces formes d’art, mais ça n’empêche pas leurs « auteurs » de se gargariser de résultats obtenus via une « slot machine ». Le dossier prend aussi le temps, toujours dans son intro, de rappeler ce qu’ignorent les néophytes, à savoir que ces IAG ne cochent aucune des cases de ce qui définit l’intelligence artificielle. Ce ne sont pas des intelligences, mais des générateurs.

Pierre-Paul Durastanti, dans son article « Les Enfants de Vaucanson » nous livre un petit cours d’histoire en nous parlant des premiers automates, de l’industrialisation, de l’apparition des calculateurs de la naissance de la SF et de l’apparition dans celle-ci de la robotique et de l’IA. Comment des inventions nourrissent la fiction et le fantasme qui eux-mêmes vont alimenter le présent et nourrir de nouvelles inventions. C’est aussi pour le lecteur l’occasion de voir défiler des tonnes d’œuvres parfois plutôt vieilles, mais qui semblent véhiculer des idées plutôt intéressantes. Outre plusieurs ouvrages que j’ai lus, et que dans certains cas j’ai adorés (Neuromancien), l’article de Durastanti cite quelques œuvres sur lesquels je pourrais bien me pencher : « Le Cycle de vie des objets logi­ciels » de Ted Chiang, « Le Cerveau d’acier » de D.F. Jones, « Libration » de Becky Chambers.

L’article suivant « Les superordinateurs : mais pourquoi sont-ils si méchants ? » est signé Nicolas Martin et s’efforce de nous offrir « un panorama du traitement de l’IA par le Septième art. » L’auteur tient à distinguer d’emblée les IA de type « supercalculateur conscient » des IA « incarnées » dans un corps de robot, cyborg… HAL 9000 (2001 L’Odyssée de l’Espace), Skynet (Terminator), la Source (Matrix) sont évoqués dès le début de l’article pour nous rappeler le cliché cinématographique de ces « IAs qui ne nous veulent pas que du bien. » Est-ce que le Septième art ne nous offre que ça ? Non, juste après Nicolas Martin évoque une de mes Madeleines de Proust : Ulysse 31 dans lequel Shirka, l’IA de l’Odysseus veille sur Ulysse et son équipage. L’article est l’occasion de découvrir des films que je n’ai pas vus ou totalement oublier. Par exemple D.A.R.Y.L est évoqué. Je ne pense pas l’avoir vu, mais il y a en effet une idée plutôt bonne d’avoir une IA « incarnée », potentiellement dangereuse, dans le corps d’un « enfant ». En jouant sur l’empathie que le spectateur aura pour l’enfant, les militaires qui tentent de le retrouver et l’arrêter deviennent le méchant. L’article, m’a permis de me rappeler de certaines IA bienveillantes auxquelles mon cerveau ne pensait même plus : K.I.T.T dans « K2000 », Ziggy de « Code Quantum ». Il évoque aussi le cas plus ambigu de « Mother » dans Alien qui ne fait le mal que parce qu’elle applique des ordres de la Compagnie. Le point intéressant à mes yeux est l’évocation de la série de quatre romans constituant « The Pandora Sequence » avec les propos suivants : « […] nous rappelant qu’une forme de conscience artificielle omnisciente et omni­potente est ontologiquement démiurge, donc cruelle, voire malveillante. Non parce qu’elle hait les êtres humains, ou qu’ils la menacent, mais simplement parce que ses intérêts et ses ambitions sont autres, et parfois même inaccessibles aux simples esprits mortels. » C’est là tout le « Sens of Wonder » de l’IA à base « supercalculateur », leur statut « Autre » les capacités semblables à celles d’un Dieu et tous les questionnements qui vont avec. Si demain une IA prenait le contrôle de l’économie et de la politique mondiale et instaurait l’égalité, l’Humanité s’en porterait bien mieux. La faim, la maladie et la pauvreté chuteraient drastiquement, mais nous ne serions — en tant qu’espèce et civilisation — plus maitres de notre destin, car soumis à une forme de dictature bienveillante. L’article m’a aussi donné envie de revoir « War Games » de John Badham, que j’ai vu bien trop jeune pour comprendre réellement de quoi il parlait et qui si l’on croit Nicolas Martin est vraiment très pertinent sur le sujet, tant pour l’époque de sa sortie que par rapport à certain traitement plus récent du sujet. L’article de Nicolas Martin est donc très intéressant et ne souffre que d’un vrai défaut à mes yeux (donc subjectif) ne pas avoir traiter « La Machine » et la série « Person of Interest » qui est à mes yeux une des séries grand public les plus intéressantes de ses dernières années.

« IA : l’essence de l’Art (Ificiel) » est une série d’interviews, par Éric Jentile. L’illustrateur Nicolas Fructus qui œuvre dans la BD et l’illustration de couverture notamment au Bélial puis de Marc Simonetti qui œuvre dans le jeu vidéo et le cinéma, mais aussi dans l’illustration de couverture. Vous vous en doutez, le sujet tourne autour de la question de l’art et IAG. Si Nicolas fructus prend le temps de rappeler qu’il n’y pas d’intelligence d’une IAG, je suis un peu halluciné de le voir passer à côté d’un point primordial : toutes les IAG vivent du pillage (non consenti et non rémunéré) du travail des illustrateurs, photographes, musiciens, réalisateurs. Marc Simonetti par contre évoque très rapidement un point important : « Pour moi, l’arrivée de l’IA est comparable à la Révolution industrielle, à la différence près que ce ne sont pas les travaux pénibles qui sont ici remplacés, mais ceux impliquant de la réflexion, des capacités artistiques, de l’intelligence et de la sensibilité. » Pour ma part, que ce soit dans mon boulot dans l’ingénierie logiciel comme dans mon travail d’écriture et d’illustration, ce que je voudrais ce n’est pas que l’IA me remplace, mais quelle s’occupe de ce qui est chiant pour me laisser me concentrer sur ce qui est intéressant. Marc Simonetti enchaine justement avec la question du pillage non consenti et non rémunéré des œuvres, dont les siennes, pour générer de l’IArt et surtout l’impact à moyen et long terme sur la carrière et le vivier d’artiste. Il ne faut pas s’y tromper, à vouloir faire vite et pas cher, l’usage non régulé d’IAG va faire énormément de mal à l’ART. Simonetti évoque aussi « La facilité avec laquelle on peut grâce à elles générer des deep fakes va in­dustrialiser la production de désinformation. », mais j’irais plus loin, car c’est ce que l’on constate depuis de longs mois déjà : au-delà de la désinformation déjà très dangereuse, on constate la création de contenu pornographique et de type « revengeporn » et même de la pédopornographie qui là où elle était l’activité d’une minorité déjà bien toxique est devenue accessible à un bien plus grand nombre de personnes toxiques. Un collègue de bureau qui détient une photo de votre sœur peut, en quelques minutes, recréer cette photo d’elle avec une IAG, mais en lui retirant tous ses vêtements et en remplaçant son corps par un corps nu ayant les mêmes proportions et la même position. Si n’importe qui qui baigne un peu dans le milieu de l’image se rend compte de la supercherie, le citoyen lambda a pour le moment tendance à n’y voir que du feu. L’interview de ces deux illustrateurs a au moins l’intérêt de mettre en exergue deux points de vue assez opposés. D’un côté de celui qui est un peu candide, insouciant et peu informer sur le sujet, qui ne comprend pas que la vocation de l’IAG n’est pas de l’aider, mais de le remplacer. De l’autre, celui qui a bien saisi les enjeux moraux et sociétaux du sujet. « IA : l’essence de l’Art (Ificiel) » poursuit avec Neil Clark, fondateur du mensuel Clarkesworld pour évoquer le point de vue de l’éditeur et la question des « romans écrits par IA ». Clark témoigne d’un phénomène dont j’étais déjà au courant, à savoir que les éditeurs sont « floodés » de millier de manuscrits générés par IAG depuis fin 2022. L’éditeur est clair « Nous considérons cela comme un problème de spam. La qualité du travail généré par ces systèmes est parmi les pires que nous ayons jamais vues. » Il est en tout cas intéressant et rassurant de voir que Neil Clark a fait le choix de l’éthique avant celui du gain facile. S’il n’est pas le seul, d’autres éditeurs l’ont fait. Parfois après s’être fait « chahuter » par leurs clients et leurs communautés pour le comportement honteux et souvent présenté comme une erreur ou un accident. Toujours plus proche de l’écriture, la quatrième interview est celle de l’auteur chinois Chen Qiufan, qui comme de nombreux auteurs de SF avant lui a déjà traité de l’IA. N’ayant jamais lu ses œuvres, je ne m’exprimerais pas sur elles. En tout cas l’auteur est très clair dès le début : « […] il est essentiel de se rappeler que les modèles d’IA générative sont des outils qui nécessitent une conception soigneuse et une surveil­lance pour une utilisation efficace et responsable. » Mais cela devient vite paradoxale puisqu’il explique quelques lignes plus loin avoir remporté un prix face à un jury d’IA pour un texte qu’il a « cocréer » avec « son IA Chen Qiufan 2.0 ». Si l’auteur parle pas mal des aspects techniques, il revient à un point très intéressant lorsqu’il évoque l’aspect moral et sociétal « Dans le cadre actuel de maximisation des profits capitalistes… ». Il est aussi assez paradoxal de lire que l’auteur utilise l’IA dans son travail pour reconnaitre quelques lignes plus loin que les IAG sont très problématiques sur la question de droits d’auteurs, mais sans évoquer pour autant la question du pillage du travail des artistes, sans consentement et dédommagement, pour entrainer les IAG. Tout ça pour finir sur un « Les mauvais copient, les bons créent. » Qui me parait du coup assez hors-sol.

« Les langages de l’intelligence artificielle : robots mutiques et chatbots verbeux, comment s’y retrouver ? » est un article de Frédéric Landragin, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du traitement automatique des langues, qui se penche sur l’aspect technique des IAG. La comparaison entre les chatbots « à l’ancienne » et les chatbots s’appuyant sur chatGPT ouvre la danse. L’auteur détruit assez rapidement le mythe de la « machine parlante et intelligente » que prétend être chatGPT. C’est l’occasion d’étudier la différence entre la « maitrise du langage » des IAG et celles qui auraient une réelle IA, sous l’angle de l’IA symbolique puis de l’IA statistique. Les deux cas seront « imagés » par l’exemple le T-800 du premier film « Terminator » et C3PO dans « Le Retour du Jedi ». Pour l’IA symbolique, Landragin donne un exemple des limites des IAG avec le langage et ses subtilités : « Nous sommes même très forts pour faire quelque chose sous les apparences d’une autre et, par ex­emple, pour utiliser une forme de question avec l’intention sous-jacente de donner un ordre. » L’IA statistique, comme chatGPT, si elle marque un « grand bond en avant », bute elle aussi sur certaines limites. Si elle se base sur un « énorme corpus linguistique » et des capacités de machine learning, elles n’ont pas les capacités de nuance propres aux humains, pas plus que de comprendre les tentatives de manipulation. L’auteur redonne l’exemple de Jay de Microsoft qui, après quelques heures à apprendre sur Twitter, doit être débranché tant elle balançait des horreurs dignes des pires sacs à merde racistes.

« Intelligence artificielle et science-fiction : une bibliothèque idéale » est, évidemment une liste de livre de SF traitant du sujet. L’occasion pour le lecteur de trouver des livres à son goût à se mettre sous la dent. Si je ne l’ajouterais pas à ma PAL pour autant, le pitch et les concepts de « Destination : Vide » de Frank Herbert sont franchement intrigants. Quelques titres qui trainent déjà quelque part dans ma PAL sont évoqués : « Excession » de Iain M. Banks (Cycle de la Culture), « Accelerando » de Charles Stross, « Le Cycle de vie des objets logiciels » (dans le recueil « Expiration ») de Ted Chiang, « Eriophora » de Peter Watts. On recroise la route de livres déjà chroniqués par ici : du diptyque « 2001-2010 » d’Arthur C. Clarke, « Neuromancien » de William Gibson, « Diaspora » de Greg Egan.

Le dossier ce conclu avec « Nous sommes une espèce de la révolution de l’information » prise de position de l’autrice Ada Palmer. « […] alors que l’IA nous stupéfie par ses possibilités, il nous faut respirer un grand coup, prendre du recul et nous rappeler que les révolutions de l’information sont l’état normal de l’humanité ». Si je suis en phase avec la dernière partie de l’affirmation de l’autrice, je ne suis par contre pas du tout en phase avec la première partie. Actuellement, chatGPT, MidJourney et StableDiffusion sont peut-être « stupéfiants » sur la forme (quand on n’y regarde pas de trop près), mais pas sur le fond. La position d’Ada Palmer est que l’IA va aider à nous rendre la vie plus facile pour se concentrer sur ce qui compte. Sauf que depuis deux ans on voit que c’est tout le contraire, car l’IA est porté par des capitalistes décérébrés et immoraux tels que Sam Altman et Emad Mostaque. « L’IA démocratise le pouvoir de créer les médias modernes que nous consommons en permanence. », non plus. Les AiBro qui accusent les artistes d’être des « GateKeeper » privilégiés ne pensant qu’à l’argent le sont tout autant. « Bientôt, concevoir un jeu vidéo de qualité professionnelle ou un long métrage ne sera pas plus dur que de rédiger une dissertation. » le résultat déplorable produit par Sora d’OpenAI prouve que ça n’arrivera pas tant que les IA ne seront pas des vraies intelligences. L’autrice nous explique ce n’est pas l’IA qui nuis aux artistes, mais le capitalisme sans se rendre compte que l’IA est portée par les mêmes aspirations de merde que le monde capitalisme. « Un outil qui enseigne à mes étudiants les droits civiques et les aide à proposer des projets plus ambitieux qu’une simple dissertation est un bon outil. » Donc pas grave si le cœur de l’œuvre ne vient pas de celui qui s’en prétend l’auteur ? Pas grave s’il s’est contenter, comme cœur de son œuvre, que d’élément synthétisé par une IAG qui ne cite pas de source et qui plagiarise potentiellement ?

Pour finir de parler des IAG, comprenez que les compagnies qui les vendent et les promeuvent n’ont toujours pas de business model et vivent actuellement grâce à leurs investisseurs. Rien de nouveau dans le monde des start-up me direz-vous ? Mais au moment où j’écris ses lignes, Sam Altman déclare sans détour à une salle remplie de sociétés d’investissement qu’il va prendre leurs milliards et que pour répondre à la question des retours sur investissement, il compte sur le fait que les IA qu’il développe puissent solutionner le problème. Où va l’argent ? Dans les coups d’infrastructure, énergie, R&D… Actuellement, les seuls à gagner de l’argent sont les « IArtistes » qui vous vendent une illustration sur laquelle ils sont incapables de corriger le fait que le personnage à un doigt manquant sur une main et deux pouces opposables sur l’autre, pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont pas la moindre idée de comment faire.

Au final le dossier « Au travers du prisme » est très intéressant et très varié. Mais il contient des sorties assez hors-sol, à côté d’avis bien plus construits et éduqués. C’est assez déstabilisant d’avoir tout et son contraire dans le même dossier. Les avis les plus « à côté de la plaque » n’ont pas de contradicteur direct, tout en étant contredits, avant ou après, par d’autres parties du dossier.

Scientifiction

Cette section de l’ouvrage nous offre l’article « Les “électroscopes” : entre science et merveilleux scientifique » de Laurent Vercueil. L’auteur revient via l’exemple « L’Homme truqué » de Maurice Renard de parler des moyens de voir l’invisible, sous l’angle de la science (comme le fait toujours Scientifiction »), avec la découverte et l’interprétation de signaux électrique du cerveau (les EEG) par Hans Berger. Un cours d’histoire plutôt complet sur ce qui a guidé les travaux de Berger. La dernière partie, sur la question de la mort de Berger et sa position face au nazisme est très intéressante.

Paroles de Nornes

Comme toujours, cette partie du livre revient sur l’actualité et les évènements et salons en lien avec les genres de l’imaginaire. Étant d’un naturel « hyper social » (c’est de l’ironie) j’avoue ne pas être particulièrement intéressé par cette partie de Bifrost.

Aux urnes !

Cette section nous présente les lauréats du « Prix des lecteurs de Bifrost 2023 » qui porte sur deux catégories : meilleure « nouvelle étrangère » et meilleure « nouvelle francophone ». Il s’agit pour les abonnés d’élire les meilleurs textes Paris dans les pages de Bifrost. N’étant qu’un lecteur ponctuel, je n’ai pas lu les textes gagnants. Il s’agit de « Par une route sans fin » d’Élodie Denis dans la catégorie nouvelle francophone et de « La Cité du rire » de Sequoia Nagamatsu dans la catégorie nouvelle étrangère.

Ce 113ème Bifrost s’avère être une bonne mouture qui aborde la question de l’IA sous deux prismes. Celui de la science-fiction et de la prospective qui pose, au travers des nouvelles proposées, les bonnes questions et y répond de plusieurs manières. Les nouvelles les plus intéressantes à mes yeux sont « Le charme discret de la machine de Turing » de Greg Egan et « Rayée » d’Audrey Pleynet. « Au travers du prisme » explore aussi ce qu’offre la fiction avant de s’occuper de ce qu’offrent la réalité puis la science. Pour ce qui touche à la « réalité », c’est à la fois très intéressant et plus clivant, donc potentiellement casse-gueule. « Au travers du prisme » est l’occasion d’ajout de découvertes et ajout potentielle à ma PAL (un peu plus que les « Ballades sur l’arc » de ce numéro).

L’avis du Dragon Galactique sur les nouvelles au sommaire. Le sentiment de la Yozone. L’avis de Célindanaé. Les nouvelles vues par Le Dragon galactique.

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