Le Ministère du futur — Kim Stanley Robinson

Résumé :
« Établi en 2025, l’objectif de la nouvelle organisation était simple : plaider pour les générations à venir du monde et protéger toutes les créatures vivantes, présentes et futures. Il fut vite surnommé “le Ministère du Futur”. Raconté entièrement sous forme des témoignages directs de ses personnages, Le Ministère du Futur est un chef-d’œuvre de l’imaginaire, l’histoire de la façon dont le changement climatique nous affectera tous dans les décennies à venir. Le décor n’est pas un monde postapocalyptique et désolé, mais un avenir qui nous fonce dessus… et où il nous reste une petite chance de surmonter les défis extraordinaires auxquels nous devons faire face. »

Fiche technique :
Auteur : Kim Stanley Robinson
Éditeur : Bragelonne
Pagination : 545 pages

Un bouquin dont j’attendais la traduction française avec impatience. Au point que, fatigué d’attendre, je m’apprêtais à l’acheter en VO quand Bragelonne a annoncé sa VF. Il faut dire que j’aime beaucoup KSR de manière générale et que, sur les mêmes thèmes, j’avais adoré « Green Earth ». Manque de bol, « Le Ministère du futur » est sorti pendant que j’étais à l’hosto. Il m’a donc fallu patienter encore un peu, le temps de terminer les lectures entamées là-bas.

Ce livre est un étrange jeu d’équilibriste entre « course vers l’apocalypse » et « utopie ». Le constat est accablant, nous courrons à l’apocalypse climatique. Trop peu est fait pour freiner le changement climatique et endiguer ces conséquences immédiates et celle, bien plus terrible, à venir. Tous ceux qui se penchent sérieusement sur le sujet le disent que pour avoir une chance, il faut changer de paradigme. Un changement qui ne semble avoir aucune chance de se concrétiser tant il va à l’encontre du système, du capitalisme. Pourtant, en 2025, en conséquence de la COP23 de Paris, l’ONU se dote d’une nouvelle agence : Le Ministère du futur. C’est son surnom et on ne connaitra jamais son nom réel. Cette agence va tenter de trouver un moyen de lutter contre le système pour limiter voir éviter la catastrophe avec pour mission d’être « l’avocat des générations futures ».

La narration a un côté chorale avec un fil rouge centré sur l’Irlandaise Mary Murphy, directrice du Ministère du futur, qui, avec ces équipes, tente de légiférer au niveau international. Le but est simple, faire en sorte que les citoyens prennent conscience que la lutte passe par eux, mais aussi agir contre les gros pollueurs et faire comprendre aux gouvernements qu’ils peuvent reprendre la main sur la finance mondiale. Ce fil rouge est entrecoupé (certains diront dilué) par des points de vue de réfugiés, scientifiques, citoyens lambda qui subissent de plein fouet le changement climatique ou tentent de lutter contre. Certains sont totalement anonymes, à la troisième personne ou à la première personne. Certains personnages ne seront là que le temps d’un chapitre alors que d’autres reviendront ponctuellement. Le fil rouge de Mary est lié aussi à l’histoire de Frank, un jeune homme brisé par une catastrophe climatique qui constitue le chapitre d’ouverture du livre. Un chapitre touchant, dur, qui va briser un homme, tuer d’innombrables personnes et réussir l’exploit de me faire pleurer (le meilleur chapitre du livre selon moi). Cette catastrophe est une canicule gigantesque et plus qu’extrême qui va tuer 20 millions d’Indiens en une semaine. Si cela parait dingue et difficile à avaler, c’est pourtant basé sur un problème bien réel qui risque de frapper plusieurs régions du monde : la température du thermomètre mouillé, c’est-à-dire lorsque par 35° ou plus le taux d’humidité fait que le corps humain n’évacue plus le surplus de chaleur. Franck ne voulant plus que cela se reproduise, envisage l’action violente contre les pollueurs, mais aussi ceux qui, comme Mary Murphy, doivent lutter contre eux. Une prise d’otage et une discussion, c’est ainsi que leurs destins vont se croiser. L’histoire s’étale sur 106 chapitres et une bonne vingtaine d’années. On assiste d’abord à une phase d’immobilisme ou malgré les tentatives du Ministère du futur, rien ne change ou si peu. Des populations se rebellent violemment. Des groupes terroristes s’attaquent aux pollueurs, aux 1 %, aux sources de pollutions. Au bord du gouffre, les gouvernements, conseillés par le « Ministère » vont alors commencer à légiférer. Au pied du mur, certaines entreprises et une partie des 1 % vont suivre le mouvement, préférant être moins riche que mort ou ruiné. Alors, les choses vont commencer à changer. Comme avec le changement climatique, il y aura ce qu’on peut appeler des boucles de rétroactions positives. Des changements vont en entrainer d’autres, le paradigme va finir par changer, l’espoir va renaitre. Pourtant, tout ne sera pas facile, car l’inertie propre au climat fait que les catastrophes continuent de frapper, détruire, tuer, déplacer des populations. C’est tout cela qu’on suit. Le sujet, comme toujours, est passionnant. La plume de l’auteur, comme toujours, est addictive. Les changements préconisés dans le livre sont en grande partie basés sur des propositions réelles et/ou plausibles. Je travaille, de manière occasionnelle et bénévole, sur des évaluations de solutions techniques devant permettre de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et ils s’avèrent que certaines des solutions sont déjà là, en cours de tests ou de déploiement à petite échelle. Tout le problème est là : il faut aller beaucoup plus vite et déployer plus, beaucoup plus. Les solutions politico-économiques où de géo-ingénierie sont-elles toutes réalistes et réalisables ? Sincèrement, je pense qu’on ne le saura jamais parce que, pour simplifier, sauver la planète implique de détruire le capitalisme. C’est en grande partie en cela que « Le Ministère du futur » est clairement utopiste et me parait « trop optimiste ». Car le livre nous rappelle ce que l’on sait déjà : le changement qui permettra notre survie en tant qu’espèce ne viendra pas du système, mais de sa mise au pas ou de sa destruction. Le livre brasse de manière passionnante de nombreux sujets : théories économiques, politiques, questions des réfugiés climatiques, géo-ingénierie, écoterrorisme… ce qui le fait appartenir à plusieurs genres : fiction climatique (cli-fi), hard-SF et utopie (ou anti-dystopie ?). C’est passionnant et j’ai encore eu l’occasion d’apprendre quelques petits trucs intéressants.

Le livre est-il parfait ? Non. Il y a plusieurs mini-chapitres (certains font une demi-page) narrés du point de vue d’un photon ou d’un atome de carbone qui, s’ils ne font de mal à personne, n’apporte rien à l’histoire. On a aussi difficilement la notion du temps, car quasiment rien n’est daté. On réalise que l’histoire s’étale sur vingt ans environs, mais il est pour ainsi dire impossible de constituer une « timeline » des évènements et cela me frustre terriblement. J’aurais aimé que certains évènements politiques capitaux et passionnants soient explorés bien plus en profondeur. Aussi, occasionnellement, certains changements me paraissent trop rapides et donnent une impression totalement utopique, un peu difficile à avaler. Enfin, les changements de points de vue, de forme de narration… donnent un rythme qui posera peut-être un problème à certains lecteurs. Pour ma part, je m’en suis bien accommodé, car le sujet me passionne et que beaucoup de chapitres étaient très intéressants, voire totalement passionnants.

Avec « Le Ministère du Futur », je m’attendais à un livre comparable à « Green Earth », mais au final la comparaison n’a pas lieu d’être, car même si les thèmes sont les mêmes, la forme et l’angle d’attaque diffèrent totalement. Kim Stanley Robinson fait preuve d’une incroyable érudition et nous propose une histoire globalement passionnante en brassant, via de nombreux points de vue, les nombreux thèmes en lien avec le changement climatique ou ses conséquences. Si le livre souffre de quelques imperfections, l’auteur signe à nouveau un très grand livre de « climate fiction » qui ravira toutes les personnes intéressées par le changement climatique, la (géo) politique et la géo-ingénierie. Rien que le chapitre d’ouverture justifie sa lecture pour tous les amateurs du genre.

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