Carbone & Silicium — Mathieu Bablet

A gauche la couverture standard. A droite la couverture de l’édition CanalBD.

Résumé :
« 2046
Derniers nés des laboratoires Tomorrow Foundation, Carbone et Silicium sont les prototypes d’une nouvelle génération de robots destinés à prendre soin de la population humaine vieillissante.
Élevés dans un cocon protecteur, avides de découvrir le monde extérieur, c’est lors d’une tentative d’évasion qu’ils finiront par être séparés. Ils mènent alors chacun leurs propres expériences et luttent, pendant plusieurs siècles, afin de trouver leur place sur une planète à bout de souffle où les catastrophes climatiques et les bouleversements politiques et humains se succèdent… »

Fiche technique :
Auteur et illustrateur : Mathieu Bablet
Éditeur : Ankama Editions
Pagination : 287 pages
Prix : 22,90 €

Précision utile pour commencer, cette chronique est basée sur la version spéciale « CanalBD » qui inclut une postface d’Alain Damasio ainsi qu’un cahier graphique. Pour le reste, l’édition a les mêmes qualités que « Shangri-la » : couverture rigide épaisse, tranche toilée et prix toujours très abordable. Les bonus de cette version sont sympathiques. On sent dans la postface qu’Alain Damasio a adoré sa lecture. Dans le cahier graphique, Bablet nous explique un peu son travail sur cette œuvre, nous montre des idées non exploitées… Bref, entre les bonus, le contenu et le prix c’est un must have.

Donc quatre ans après Shangri-la revoilà Mathieu Bablet avec un pavé monumental et ambitieux. Niveau scénario on est à nouveau sur plusieurs thématiques, mais qui se croisent au sein d’une forme de synergie. Ici l’odyssée de plus de 270 ans matinée de transhumanisme des IA Carbone et Silicium est l’occasion d’explorer l’Humain avec toutes ses incohérences et contradictions dans une course effrénée pour atteindre un bonheur illusoire qui entraine la destruction de son environnement et ses congénères. Ainsi l’histoire pourtant futuriste nous renvoie à notre propre époque : conséquence du réchauffement climatique, crise migratoire, exploitation des ressources… par exemple de nos jours beaucoup s’expriment quant à la pollution causée par l’extraction des terres rares utilisées dans nos smartphones, il en est de même quelques décennies plus loin lorsqu’après avoir construit et profité de plein de robots avec IA, les gens se mettent à s’opposer à cette exploitation. De la même manière, le mur protégeant l’Europe des migrants nous renvoie directement à la situation actuelle en méditerranée. Les sujets évoqués sont donc nombreux, très actuels, mais intelligemment exploités. Globalement l’histoire est sombre et pesante, parfois même assez violente. Je pense notamment aux dernières heures de la vie de Noriko. Cette histoire soulève une vraie question : les humains sont-ils capables de vivre heureux et en société ?

Seul « défaut », je ne pense pas que les IA développeront un jour des sentiments comparables aux nôtres, l’histoire d’amour platonique entre Carbone et Silicium, leur recule face à notre civilisation, leur intelligence supérieure… tout cela constitue le vecteur, le point de vue narratif parfait pour cette histoire. On consentira donc à une petite suspension d’incrédulité sur ce point.

Visuellement on retrouve les mêmes qualités et défauts que dans Shangri-la. Encore une fois la façon dont l’auteur dessine les visages peut être déstabilisante, parfois les corps ont des formes simplistes (parfois on ne distingue même pas les pieds). Pour le dessin d’éléments robotique le travail est efficace tout en évitant de coller aux références du genre que sont Ghost in the Shell ou Blade Runner. Il y a d’ailleurs une vraie exploration des corps avec les variations d’apparence de Silicium à travers le temps, et l’usure et le rafistolage que s’inflige Silicium. Au niveau décors on est à mille lieues de l’œuvre précédente de Bablet. Oubliez l’espace et les stations spatiales, ici l’histoire se déroule sur une terre agonisante. On sent tantôt la crasse tantôt la beauté que recèle se monde allant d’un extrême à l’autre avec les décharges d’Accra ou la ville d’Hakone à moitié engloutie par l’océan et visité par des baleines. À chaque fois les pages fourmillent de détails et les couleurs donnent des ambiances souvent incroyables. Enfin dernier élément visuel que j’ai trouvé superbe c’est lors que l’on suit le cheminement des IA sur le réseau internet qui se déroulent dans en environnement parfois onirique, parfois inspiré de l’architecture précolombienne et toujours avec cette couleur en « négatif ».

En résumé, Mathieu Bablet frappe à nouveau très fort avec un ouvrage monumental et ambitieux, visuellement somptueux, scénaristiquement intelligent et intéressant, mais assez dépressif par les thématiques explorées. Au premier abord je dirais que ma préférence reste pour le moment sur Shangri-la, mais qu’en sera-t-il après une ou deux relectures ?

3 commentaires sur “Carbone & Silicium — Mathieu Bablet

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