Blame! – Tsutomu Nihei (Version Deluxe en 6 tomes)

Résumé :
« Killee est un enquêteur arpentant la Mégastructure, un bâtiment titanesque, à la recherche d’un terminal génétique (et d’un porteur de gènes sains). Il travaille indirectement pour le compte d’un certain Bureau gouvernemental, instance de la résosphère. Au cours de sa quête, il rencontre Shibo, une scientifique qui se propose de l’accompagner. Shibo et Killee doivent faire face à des siliciés (des humains augmentés), ainsi qu’à des contre-mesures, étranges créatures poursuivant un but bien précis dans une guerre technologique où il n’y a ni pitié ni prisonniers. »

Fiche technique :
Scénario et dessin : Tsutomu Nihei
Éditeur : Glénat
Pagination : environ 380 à 400 pages par tome

Ma chronique est basée sur la version Deluxe en 6 tomes édités par Glénat. Blame ! fut initialement publié en 10 tomes.

 « Blame! » est à minima un œuvre marquante de l’histoire du manga. Pour certains c’est carrément une œuvre culte. Après avoir visionné le MYTHOLOGICS #5 d’Alt236 consacré à Blame ! j’ai décidé de m’y plonger.

Le manga de Nihei peut être classé plus ou moins dans le cyberpunk et aussi dans le post-apocalyptique.

L’histoire se déroule dans un décor immense, la Mégastructure dans un futur lointain et non précisé, peut être sur terre, peut-être pas. Cette Mégastructure s’étend sur des milliers d’étages aux dimensions titanesques. La Mégastructure est un monde à elle seule, en perpétuelle extension du fait des Bâtisseurs, des robots de taille très variable, plutôt neutre, leur seul objectif étant la construction et l’extension de la « ville ». Autrefois sous l’autorité du Bureau Gouvernemental, la dégénérescence de la résosphère les a rendus désorganisés et ils poursuivent donc inlassablement l’extension de la Mégastructure depuis des millénaires. La Mégastructure est un personnage à elle seule. Titanesque, crépusculaire, torturée, en expansion perpétuelle… un décor absolument hors-norme : des trajets de 800 heures, des distances en million de kilomètres, un véritable labyrinthe.

On suit l’épopée de Kilee, dont on ne sera jamais grand-chose. On finira juste par comprendre qu’il est un agent (Contre-mesures de type sauvegarde) travaillant pour le Bureau Gouvernemental et qu’il est chargé de récupérer des terminaux génétiques. Il parle peu, l’auteur ne nous dévoile rien de son passé. Il est surpuissant, presque indestructible et dispose d’un redoutable « Émetteur de Rayon Gravitationnel ». Dans sa quête, il rencontre Shibo, qui sera le premier personnage secondaire à s’inscrire dans la durée. C’est une ancienne scientifique renégate qui a tenté dans un lointain passé de fabriquer un terminal génétique de synthèse. Ensemble, ils vont affronter les différentes factions telles que des agents chargés d’éliminer les terminaux génétiques impurs. Les Exterminateurs totalement automatisés et sans capacité de libre arbitre. Les Siliciés, un groupe indépendant de créatures biomécaniques opposé à tous les autres. Les Bâtisseurs, dont je vous ai déjà parlé plus haut. Les humains, presque tous mutants, perpétuellement chassés, ils essaient tant bien que mal de survivre. La Mégastructure est donc arpentée par des factions qui sont des civilisations, voire des races à part entière. Ça vous donne une idée de la taille de la Mégastructure qui fait peut-être la taille de Jupiter…

L’histoire est parfois difficile à suivre et les motivations des personnages et factions un peu difficiles à cerner. Kilee n’est pas bavard, il voyage parfois longtemps sans croiser âme qui vive. On ne connait rien de son passé. Il ne le connait probablement pas lui-même et il n’en a peut-être même pas. Les nombreux personnages croisés ne passent pas des pages à étaler leurs histoires et nous livrent aussi que peu d’infos sur leur monde, leurs passés, leurs motivations (s’ils en ont, puisque certains ne sont que des exécutants sans libre arbitre et répondant à une force supérieur). Beaucoup de personnages ne font que passer, parfois seulement le temps d’un chapitre. La fin elle-même est (volontairement ?) floue et étrange, quasi mystique (j’ai dû la relire deux fois). Elle donne même le vertige si on relie la dernière image du dernier chapitre, au premier chapitre du premier tome.

Au niveau du dessin, c’est à la fois grandiose et démesuré, même si c’est parfois brouillon. Nihei montre une maitrise folle du dessin en noir et blanc à travers un trait parfois follement précis et d’autre fois puissant et brute. L’aspect biomécanique fait penser à du HR Giger (sans l’aspect sexuel). Le biologique et la mécanique ne font souvent qu’un, y compris au niveau de la Mégastructure. Cette dernière fait penser à un organisme vivant titanesque, mais en pleine décadence ou décomposition. L’amour de Tsutomu Nihei pour l’architecture[1] transparait dans presque chaque page. Les décors sont riches, titanesques et tout simplement hors-norme. Il y a aussi un aspect contemplatif très fort de par le fait que Kilee est peu bavard, on enchaine donc parfois de nombreuses pages sans le moindre texte. Pourtant, les designs de personnages (parfois trop fouillé) combiné à une action très expressive donnent parfois des pages un peu brouillonnes, qui peuvent être difficiles à suivre. Certains character designs sont bluffants, d’autres sont torturés, glauques voir dérangeants. Certaines des formes physiques de Shibo sont assez incroyables d’un point de vue design.

Blame ! est une œuvre folle, crépusculaire, désespérée, incroyable, mais très exigeante. Il est tout simplement dingue de savoir qu’il s’agissait alors du premier manga de Tsutomu Nihei à l’époque (publication de 1998 à 2003). Il faut s’accrocher à chaque image, à chaque explication ou dialogue pour ne pas manquer d’information, au risque de se retrouver dans le flou. C’est une œuvre que je vous conseille de ne pas lire à la légère, mais plutôt bien installer, au calme et sans trop de coupure entre les chapitres et les tomes, au risque de perdre le fil. Histoire de mieux comprendre l’univers de Tsutomu Nihei, je compte lire très prochainement le oneshot « NOiSE » qui est un prequel à « Blame! » et qui (parait-il) répond à de nombreuses questions. Il existe aussi des suites, « Blame!² » et « NSE : Net Sphere Engineer », mais je ne crois pas qu’elles aient été traduites en français.

Au final, « Blame! » est une œuvre folle, un ovni. C’est titanesque, c’est original et inhabituel, mais c’est aussi une œuvre exigeante. Il y a beaucoup de mystères et de questions qui reste sans réponses, et ce même jusqu’à la fin. Tsutomu Nihei réussi l’improbable, proposer une œuvre qui me subjugue par son côté dément et ses choix assumés tout en me frustrant énormément par le nombre d’éléments restés sans réponses.

P.S: Vous pouvez lire un extrait de version Deluxe sur le site de Glénat.


[1] Comme les précise Arthur Bayon dans son article Tsutomu Nihei et ses marionnettes martyres (Le Figaro), « Tsutomu Nihei est souvent décrit comme un architecte reconverti dans les mangas, ce qui n’est pas tout à fait exact. S’il a bien fait une formation de maîtrise d’œuvre, il n’a pas de diplôme universitaire d’architecture. »

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