La cité des crânes — Thomas Day

Résumé :
« Thomas Daezzler est un agent de la “République invisible”, une organisation secrète pluriséculaire qui se pose en pacificateur du monde. Arrivé en Thaïlande après avoir fui la France et son propre passé, il ne tarde pas à trouver un emploi. Il fait son trou, se forge de nouvelles raisons de vivre et semble sauvé de ses démons. Jusqu’à ce qu’un agent local de la “République invisible” le contacte pour lui confier la plus étrange des missions : une quête qui le conduira au cœur de la jungle laotienne, sur les traces de la Shadow Company, jusqu’à la Cité des Crânes… »

Fiche technique :
Auteur : Thomas Day
Éditeur : Le Bélial’
Pagination : 264 pages

L’an dernier, lors de ma chronique de « Sympathies for the devil » j’avais dit que j’avais glissé plusieurs autres livres de Thomas Day dans ma PAL. J’ai mis à profit mes récentes vacances pour m’attaquer à « La cité des crânes » ainsi que le recueil « Sept secondes pour devenir un aigle ». Les dernières lignes du résumé de « La cité des crânes » m’avait laissé entrevoir une histoire du type « Au cœur des ténèbres », un thème que j’adore. Outre l’incroyable ouvrage de Joseph Conrad, je peux vous recommander le fabuleux « L’adieu au roi » de Pierre Schoendoerffer et l’excellent « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola. C’est une thématique que j’adore explorer tant en tant que lecteur qu’en tant qu’auteur et j’ai bien fait de me laisser tenter par le livre de Thomas Day.

Dans « La cité des crânes » on sent très vite les influences que j’ai citées plus haut. Thomas Day ne les cache pas (pourquoi le ferait-il ?) et les assume à travers son personnage de Thomas Daezzler. Enfin, ses références sont explorées via des inserts glissés entre les chapitres. Pourtant, Thomas Day ne se contente pas d’un hommage, il explore cette thématique à sa propre sauce, avec son style cru et âpre. Ainsi la thématique qui vient déjà avec un certain niveau de violence s’accompagne aussi d’une bonne dose de sexe, de l’exploration du thème de l’exploitation sexuel et de la misère. On sent son fort attachement, son amour même, pour la Thaïlande et l’Asie en général. Si je me fie à l’interview qu’il avait donnée dans le n° 100 de Bifrost qui était dédié à sa carrière, j’ai l’impression que l’on retrouve beaucoup de l’auteur dans le personnage de Thomas Daezzler.

Le protagoniste nous livre son récit à la première personne via ce qui est le manuscrit à travers lequel il veut tout révéler de son aventure. S’il appartient à la « République invisible », sorte de société secrète, le cœur du livre porte vraiment sur l’aspect « Au Cœur des ténèbres ». Daezzler claque tout et part pour la Thaïlande, il semble en quête de lui-même et finit par prendre un travail dans un bar à pute en raz-campagne. Ce bar, le « Tijuana Bar », est tenu par un Américain d’origine mexicaine qui « prend soin de ses poules », un semblant de lumière dans un océan de ténèbres. Toutefois, Daezzler finit par entrer dans la confidence quant aux activités réelles de son patron qui est en réalité à la recherche de son frère disparu dans une mission au Laos à la fin des années 1970. Lorsque son patron ne donne plus signe de vie, Thomas se lance sur ses traces. Direction Tham Hua au Laos. Il va alors remonter les indices confus qui vont le mener à la Cité des crânes, mais aussi à lui-même.

Bien que l’aventure ne commence qu’à la moitié du roman, toute la première partie de mise en place reste prenante et dépaysante tant Thomas Day semble bien connaitre la Thaïlande (il y a pas mal voyagé) et l’envers peu reluisant de son décor paradisiaque. Le rythme est étrangement lent, mais plaisant. La lenteur propre à une région que l’on parcourt à pied, sur des routes cahoteuses, ou à longueur de fleuve. Cela m’a fait penser au rythme d’Apocalypse Now. Il y a un fort rapport à la sexualité, à l’exploitation du corps des femmes de la région (qui dure depuis des décennies), le tout avec un langage très cru qui est typique de l’auteur, mais qui fait mouche. On ressent vraiment l’aspect « pulsion » qui travaille le personnage (non sans cliché typique de « l’homme blanc » face à la « femme exotique »), ainsi que la moiteur propre à la région. Mais c’est dans sa deuxième moitié que le livre est le plus qualitatif avec l’exploration du thème des « fous furieux » lâchés derrière les lignes ennemies en pleine guerre du Vietnam et qui atteigne leur point de rupture (Kurtz dans Apocalypse Now, Anthony Poshepny dans la vraie vie…), l’altérité, les garde-fous civilisationnels, la folie qui broie les hommes et les transforme en monstres (ou les révèle), le changement de paradigme entre deux sociétés dont on peut se demander quelle est la plus sincère et la plus monstrueuse.

Il se prénomme Thomas. Il a un secret vieux de treize ou quatorze ans. En outre, il a toujours été fasciné par le sexe (ce qui n’a pas grand-chose à voir avec son secret) et la violence (voilà un des éléments-clés du secret). Il juge la France de l’après 21 avril 2002 trop liberticide et va trouver dans le Sud-est asiatique exactement ce qu’il avait cherché toute sa vie : une belle fille à baiser matin, midi et soir // de l’interdit // du danger // un type à tuer (pour savoir ce que ça fait de voler la vie de quelqu’un, de mettre fin à une existence, si possible dans une grande gerbe de sang ; pour savoir ce qu’est réellement le pouvoir). »
Brave type // sale type.
Thomas \  Thomas.
¿ Moi ?

« La cité des crânes » est un voyage halluciné via lequel Thomas Day fait doublement mouche. D’abord parce que j’adore son style direct et cru, pourtant touchant et débordant d’honnêteté, plein d’outrances et de fulgurances, ensuite parce qu’il explore avec brio une de mes thématiques préférées : l’Homme Au cœur des Ténèbres. Je ressors de cette lecture à bout de souffle, mais avec plusieurs autres pistes de lecture sur ce thème ô combien cher à mon cœur et que j’adore explorer !

P.S : Un peu d’autopromotion. Vous pourrez retrouver ici dans quelques semaines/mois « Au-delà de la Rivière Noir », mon exploration du thème « l’Homme Au cœur des Ténèbres » qui se déroule dans l’univers uchronique d’Au Bord de l’Abîme. J’ai écrit cette histoire en 2020, trois ans avant ma lecture de « La cité des crânes », mais, comme l’œuvre de Thomas Day, elle est un hommage à de nombreuses œuvres brillantes : « Au cœur des Ténèbres » de Joseph Conrad, « L’adieu au roi » de Pierre Schoendoerffer, « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola ainsi que l’univers de « Conan le Cimmérien » de Robert E. Howard. Ainsi, je ne partage pas que le prénom (de plume dans son cas) et la première lettre du nom (toujours de plume) de l’auteur de « La cité des crânes », mais aussi un certain nombre d’influences, même si beaucoup me restent à découvrir sur cette thématique. Je vais ajouter à ce long post-scriptum le fait que j’ai dans mes brouillons une autre exploration de cette thématique, mais mélangé à l’univers lovecraftien de « Delta Green ».

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