Constellation Express #9 : Un punk cybernétique dans les nuages

Qu’est-ce que c’est que ce titre ? Vous allez comprendre bientôt. Enfin je crois. En tout cas je ne m’attendais pas à vous parler de jeux vidéo sur ce blog. En effet, à mon âge avancé (37 ans dans quelques jours), il s’avère que je joue assez peu. J’ai été un gros joueur durant l’adolescence et jusqu’à 25 ans environ. Puis j’ai bossé dans l’industrie vidéo ludique pendant deux ans, ce qui m’a pas mal coupé l’envie. D’abord parce que le monde du jeu vidéo n’est pas très reluisant comme l’a prouvé l’actualité de ces deux dernières années. Ensuite, parce que si j’ai voulu travailler dans ce milieu-là c’est parce que j’avais l’ambition folle d’y faire carrière pour y raconter des histoires, mais que j’ai préféré les écrire, plutôt que de jouer les requins ou m’écraser pour avoir un poste. Je joue encore occasionnellement, principalement à des jeux de gestion ou de stratégie, mais je n’ai pas touché à un jeu dit AAA (les fameux blockbusters vidéo ludiques) depuis un moment. Certain sont des exclusivités console et je ne vais pas acheter une console à 500 € pour jouer un mois dans l’année voir moins. D’autres, sur PC, nécessitent des configurations hors de prix pour vraiment profiter du travail graphique et artistique des équipes de développement, seulement, avec les pénuries actuelles de composants une « machine de guerre » coûte environ 3000 €.

Le game dans les nuages

L’une des solutions pour jouer à des jeux PC AAA sans avoir à mettre près de trois SMIC (net) dans un PC est le cloud gaming. Ce n’est pas vraiment nouveau, mais pas ultra connu. Le principe est « simple », depuis votre modeste PC vous vous connectez à « un PC de compétition » distant.

Je ne vais pas vous faire la liste complète des plateformes de ce type, mais pour ma part j’ai opté pour GeForce Now du célèbre concepteur de carte graphique Nvidia. Il existe trois services : le basique (aka gratuit) avec des performances limitées et des sessions d’une heure ; le Prioritaire (9,99 € par mois ou 49,99 € pour 6 mois) permettant des sessions de 6 heures consécutives, l’accès au serveur (comprenez PC) premium avec les options RTX et une résolution en 1080 p/60fps; enfin le RTX 3080 (99,99 € pour 6 mois) qui permet de jouer avec ce qui constitue pour le moment les meilleures cartes graphiques du marché (à ma connaissance) et une résolution en 1440p/120fps.

Pour ma part, ne voulant jouer qu’à un seul jeu nécessitant de grosses performances, mais voulant en profiter dans de bonnes conditions, j’ai opté pour l’abonnement Prioritaire sur un mois. Niveau accès et technicité, c’est d’une simplicité enfantine. J’ai créé un compte, installé l’utilitaire, testé la connexion, payé mon abonnement puis lier mon compte Steam (via lequel j’avais acheté le jeu en question). À partir de là il n’y a plus qu’à lancer le jeu depuis l’interface GeForce Now.

Attention toutefois, avant de vous laisser tenter, il faut vérifier que les jeux qui vous intéressent font partie des jeux éligibles. Il est possible de jouer à des jeux achetés sur Steam, Epic Game Store et GOG.

Pour ce qui est de vos PC à vous, il est nécessaire d’avoir une bonne connexion à internet (la fibre) pour la latence, une souris filaire (idéalement gaming) pour la latence (encore) et un bon écran parce que ça ne sert à rien de jouer avec des super graphismes sur un écran datant du moyen-âge. J’ai joué quasiment tous les jours pendant deux semaines et je me suis globalement régalé. Le problème technique était principalement dû au jeu que j’étais en train de poncer. Je n’ai connu que 4 ou 5 problèmes liés à ma connexion, dont une perte complète de connexion. Seul bémol : le support technique. Pour contourner un bug sur le jeu auquel je jouais il fallait que je fasse ce qu’on appelle sur Steam une vérification du cache du jeu. Sauf que le jeu étant sur une machine distante, je ne pouvais pas faire la manipulation en question. Le support, joint par chat, a été incapable de répondre à ma question qui a été transmise au service technique. Alors que j’écris ces lignes et que j’ai terminé le jeu, je n’ai toujours pas eu de réponse.

Wake the fuck up, samurai; we have a city to burn!

Mike Pondsmith (au centre)

Avec ce titre, si vous suivez l’actualité vidéo ludique, vous avez deviné de quel jeu on va parler : Cyberpunk 2077 développé par CD Projekt et basé sur la licence de RPG Cyberpunk de Mike Pondsmith. L’œuvre de ce dernier date de 1988 (Cyberpunk 2013), suivie par Cyberpunk 2020 en 1990 et Cyberpunk V3.0 en 2005, et enfin Cyberpunk Red qui accompagnait la sortie du jeu vidéo en 2020.

Cyberpunk 2077 était très attendu depuis son annonce en 2012, encore plus après l’énorme succès d’un autre jeu de CD Projekt : The Witcher 3 (encore une adaptation). Pourtant la sortie en décembre 2020 (8 ans après l’annonce) a été compliquée : versions PS4 et Xbox One catastrophiques au point que Sony a retiré le jeu de son store, version PC truffée de bugs n’empêchant pourtant pas des ventes stratosphériques avec 8 millions de précommandes et un total de 13 millions de copies vendues seulement 10 jours après sa sortie. Pour ma part j’ai échappé à ce lancement, car depuis que j’ai bossé dans le milieu j’évite d’acheter des jeux AAA au lancement, sans compter que je n’avais pas le temps et je n’avais pas le PC nécessaire (d’où GeForce Now).

Trailer de 2012.

C’est donc durant les vacances de Noël 2021 (jusqu’au 1er janvier 2022) que j’ai joué à ce jeu, soit un an après la sortie et sur la version 1.31 corrigeant de nombreux bugs en attendant l’énorme mise à jour attendu pour les premiers mois de 2022.

L’univers de Mike Pondsmith n’est pas forcément très connu du grand public, l’adaptation vidéo ludique à l’avantage de se dérouler plus de 50 ans après les évènements des RPG tout en piochant dans le lore et le worldbuilding déjà riche de l’auteur américain tout en s’offrant le luxe de l’enrichir. D’ailleurs Mike Pondmisht a, parait-il, supervisé le développement du jeu (au moins sur la partie écriture) qui pioche aussi des inspirations du côté du Neuromancien de William Gibson et Blade Runner de Ridley Scott de l’aveu même des développeurs.

Wake the fuck up, samurai; we have a city to burn! Trailer de 2019.

En résulte un jeu vidéo à l’univers très riche. Les personnages principaux, c’est-à-dire ceux liés aux quêtes principales et secondaires, sont bien écrits, parfois attachants, mais m’ont pour certains laisser un goût de trop peu. Niveau faction on retrouve les traditionnelles factions et Megacorporation de l’univers original et qui sont des tropes classiques dans la plupart des univers du genre. Il y a beaucoup de dialogues et de choix à faire, mais il semble que dans pas mal de cas, ils ont peu d’influence sur la trame principale. Cette dernière peut être fortement influencée, mais par un nombre d’éléments limité (dialogues, actions lors d’une « mission ») et débouché sur 5 fins différentes. J’ai été étonné par comment, parfois comme dans la vraie vie, en tentant de faire le « moins pire choix » ou en essayant de contenter tout le monde, on se retrouve dans la merde ou à se brouiller avec des personnages. Les dialogues sont riches, avec des piques bien sentis et des tentatives de punchline, ainsi que du jargon cyberpunk et gros mots : immersion garantie. Il y a aussi pas mal de clins d’œil (I’m Murk man) et de microévènements que j’ai adoré (Skippy le flingue qui parle). Cependant, mon avis sur la durée de vie est mitigé. En effet, le jeu est riche en contenus secondaires (missions, contrats), mais si le joueur se concentre sur la trame principale et les quelques missions secondaires indispensables il est envisageable de boucler le jeu en quelques heures. Il y a d’ailleurs des speedrunners qui l’ont terminé en moins de 3 heures. Niveau art et performance, avec la version 1.31 j’ai profité d’un jeu très beau, entaché par quelques glitchs graphiques ou sonores ponctuels ainsi que deux quêtes que je n’ai pas pu faire, mais pas de crash. Comme tout jeu en monde ouvert (Open World) il y a des bugs de collision (ma voiture neuve catapultée dans le ciel pendant que je roulais), de placement d’objet (objets flottants ou traversant le sol) qui peuvent être agaçants. Niveau IA, comme j’ai joué en mode Facile, je vais éviter de juger. Visuellement, c’est en tout cas très beau, la ville de Night City est d’une densité impressionnante, les effets météorologiques (limités) et le cycle jour/nuit sont une réussite. Cyberpunk oblige, une atmosphère chargée en particules fines et poussières façon Blade Runner aurait été un plus. Du point de vue sonore, j’ai fait le jeu en anglais, mais il comporte aussi des passages avec de l’espagnol, du créole et du japonais (le jeu inclut des sous-titres) ; dans ces conditions les doublages sont vraiment impeccables (dont Keanu Reeves dans le rôle du légendaire Johnny Silverhand). Sur le plan de la direction artistique et du design, le jeu est globalement très bon avec certains designs que j’ai trouvés géniaux (la voiture Rayfield Caliburn, mitrailleuse Mk31…) d’autre dérangeant/malaisant comme les membres du gang Maelstrom ; enfin si certains me paraissent peu crédibles/réalistes comme l’aérodyne (sorte de voiture volante) Manticore et le char Basilisk (tous deux conçu par le megacorp Militech) ils sont tout de même réussis et répondent bien aux tropes du RPG de Mike Pondsmith. D’un point de vue sonore, c’est globalement OK. La BO répond au code du genre cyberpunk, mais ça peut donc ne pas plaire à tout le monde. S’y ajoute le fait que l’on peut écouter la radio en conduisant. Il y a là plusieurs stations (une pour chaque style) et pour tous les goûts. Toutefois, si vous trouvez la radio qui passe le seul genre de sonorités qui vous plaisent et que vous ne vous attardez pas sur les autres vous aurez vite fait le tour.

Enfin, jeu oblige, il est temps de parler du gameplay. Cyberpunk 2077 se joue comme un FPS (tir à la première personne) combiné à, roulement de tambours, un RPG. En mode FPS, il est aussi possible de jouer la carte de l’infiltration et du piratage (cyberpunk oblige). L’infiltration, le combat (armes à feu, armes blanches, contondantes…), l’infiltration et le hack dépendent des mécaniques RPG. En gagnant en expérience, le joueur peut débloquer de nouvelles capacités et les affiner. Attention toutefois, il est probablement impossible de débloquer toutes les capacités. S’y ajoute des mécaniques de crafting (fabrication et amélioration d’équipement), de customisation du personnage (tenues, cyberware) qui vont améliorer la performance des armes, le hack que l’on peut équiper ou encore la protection offerte par la tenue. Pris individuellement, tous ces éléments qui sont au cœur du gameplay ne sont pas novateurs, mais ensemble ils forment un ensemble efficace. J’ai malgré tout toujours du mal avec les mécaniques de crafting sur les équipements que je trouve peu réaliste : un gilet pare-balle et un fusil d’assaut dont les performances sont multipliées par 4 ou 5 juste en les bidouillant, me cassant un peu l’immersion au passage. Là où le bât blesse, c’est sur la conduite des véhicules. La conduite au clavier sur les véhicules à 4 roues est une vraie purge, car il est impossible de doser les coups de volants et d’accélérateur avec finesse. Plus les voitures sont puissantes plus c’est ingérable. À l’inverse, la plupart du temps les moto(ko)s donnent l’impression d’être collées au bitume tout en perdant l’adhérence de manière complètement incompréhensible par moment. J’ai donc passé l’essentiel du jeu sur ma Kusanagi CT-3X.

En conclusion cyberpunk 2077 est globalement un grand jeu qui met le son et l’image sur un univers riche, mais peu connu, tout en le développant davantage et de fort belle manière. Le jeu des Polonais de CD Projekt est certes imparfait (contenu déséquilibré, conduite des véhicules), mais reste un « must play » pour tout amateur d’univers cyberpunk qui ne serait pas allergique aux jeux vidéo. Si au contraire, les jeux vidéo ne vous branchent pas du tout, je vous conseille tout de même d’aller explorer le « wikia » du jeu qui offre un bel aperçu d’un univers passionnant et riche.

Would you rather live in peace as Mr. Nobody… or go down for all times in a blaze of glory? (Trailer de lancement)

Reste la question de l’avenir de ce jeu. Un énorme patch est prévu pour début 2022. Il pourrait s’accompagner de contenu supplémentaire gratuit et peut être des premiers DLC (suppléments payants). L’année devrait aussi signer l’arrivée du jeu sur PS5 et Xbox Series, permettant probablement quelques millions de ventes supplémentaires. Enfin, comme CD Projekt l’a prouvé avec « The Witcher », ses succès se bâtissent sur la durée grâce aux contenus supplémentaires, en effet j’ai du mal à croire que les développeurs se sont donné autant de mal à donner vie à Night City il serait complètement invraisemblable qu’ils n’y introduisent pas des personnages et histoires supplémentaires en 2022-2023.